L'écoute du perdu

Program note

L’écoute du perdu is a non-narrative, episodic opera that explores and interrogates our emotional connection to sound and how we hold onto sound and music in our memories, how they are triggered, and how we transform, distort, and essentially re-create with these fragmented ‘flashbulb’ memories. We begin with Guglielmo Marconi, a pioneer of the radio, who is famously attributed the belief that sound never dies. He believed sound waves lived on forever and that there would one day be a radio powerful enough to tap into their frequencies. This beautiful image of sound waves never dying and of the possibility of tapping into and 'unveiling' these sounds and these moments provide the inspiration and framework for this opera. The work aims to present several individual memories. Therefore, I chose to commission short texts from three separate authors that are presented individually and set to music. These memories are presented in five movements, including an overture and an epilogue that frame the dramatic progression of the central movements.

 

The Ouverture (MVT I), (text by Daniel Canty), serves as the textural aural leitmotif landscape and presents thematic material of Marconi while evoking the ability of sound and music to trigger vivid imagery and sensations. MVT II (text by Kaie Kellough) evokes a memory of a sound inspired by a space. What is sound's relationship to a place? to a country? a city? MVT III, (text by Michaël Trahan) evokes a memory of sound inspired by a person. How do we associate sounds and music with people in our life? MVT IV deconstructs and re-composes fragments of the previous memories. This movement represents the imagined machine of Marconi that is tapping into moments of the past. Lastly, the Epilogue (MVT V), the continuation of the initial text of Canty, serves as a voice accompanying us on this exploration of lost sounds and serves as an afterword.  The “machine” and the theme of connectivity continue to interact and interject until the end.

Excerpt from the work :

Voix jetées : Music by Keiko Devaux on texts by Michaël Trahan.

DANIEL CANTY

On raconte que vers la fin de sa vie, Guglielmo Marconi (1874-1937), pionnier de la radiotélégraphie, s’était convaincu que toute voix, tout son, ayant une fois vibré dans le tissu des choses, pourrait être de nouveau entendus. Le monde serait donc une immense chambre de résonance, une inépuisable archive sonore où «  rien ne se perd, et tout s’entend ».
L’Univers, dans cette vision de l’esprit, est un témoin auriculaire infiniment attentif. Les sons ne meurent pas : ils ne font que passer au-delà de l’écoute. Il suffirait donc qu’un inventeur futur perfectionne un récepteur d’une infiniment haute fidélité pour qu’on puisse rescaper du néant le moindre bruissement, le moindre murmure, et ainsi recomposer la rumeur de tous les temps, l’entéléchie des voix humaines.
Cette radio de la fin du monde – je la nomme ainsi car je ne vois pas d’autre lieu pour elle que l’extrême frontière de la pensée et du possible – est doublement improbable. Car l’origine de cette image de l’éternité, pleine de foi dans notre potentiel technique, et aussi séduisante soit-elle, ne tient à rien. Les bases théoriques de ces spéculations sur la latence du son restent à étayer. Qui plus est, on ne sait pas vraiment si Marconi a dit, ou même pensé cela. C’est, en tout cas, une idée qu’on lui attribue ; il avait le don – on le sait, en considérant les poursuites judiciaires dont il a fait l’objet – d’emprunter celles des autres pour en tirer profit. À vrai dire, il faudrait déployer toutes les prouesses de sa radio apocryphe, ou d’une seconde machine, encore plus subtile, et capable de sonder l’abyme des pensées perdues, pour établir la vérité dans cette affaire.


Radio 
apocryphe

Dans la pièce le vieil inventeur
l’oreille tendue au récepteur
semble prier mais non il pense
ses idées n’ont plus son âge
a-t-il seulement pensé 
a-t-il dit ça peu importe
les idées sont une monnaie
frappées à l’effigie du silence
tout ce qui compte c’est que
la rumeur nous soit parvenue 
d’une invention un instrument subtil
un appareil une antenne apocryphe
qui étendrait à l’infini le spectre radio
et dont la théorie serait la suivante :
rien ne se perd et tout s’entend
les airs vibrent de présences
la voix est un ruban sans fin
la conscience une pulsation un signal
l’instant passe entre les plis
l’écho s’installe et nous
nous n’y entendons plus rien
diodes et filaments
souvenirs qui crépitent
l’instrument compose
avec le silence le bruit des choses
sait ce que tait la voix intérieure :
tout ce qui a été dit une fois
a été dit pour toujours
tout ce qui a été pensé
est à jamais égaré
qu’est-ce que le temps sinon 
une pièce où se perdre en pensée
qu’est-ce que l’espace sinon 
un creux où déposer le silence
qu’est-ce qu’une idée qu’une 
lueur pâle dans le songe d’une machine
radio rayon reflets 
sur l’arc du ciel la membrane de l’Univers 
souvenirs qui crépitent
flashs d’ampoules cristallographie
d’une journée où la neige
embrouillait la vision
un sentiment nous brûlait les paumes
quelque chose brillait au fond des airs
comme une promesse un bruissement
le mouvement de l’Histoire
ou une prière enfin entendue
la voix la pensée sont des fils sans fin
l’éternité un courant intarissable
la mélodie des heures s’échancre
ne tient plus qu’à un fil
ce n’est rien n’y pense pas
n’y pense plus le silence
de nouveau s’éveillera
au miracle des voix humaines
l’inventeur a-t-il seulement
dit ou pensé ça nul ne sait
d’où viennent vraiment les idées
les plans de l’appareil sont perdus
seule à s’entendre la pensée
n’a pas d’âge quand elle passe
dans la voix quelque chose se perd non 
rien ne se perd tout revient 
une distance se referme
entre un son et sa source
c’est une porte doucement refermée
qu’on ne retrouvera plus
dans la pièce l’appareil luit
l’avenir flotte inconnu 
à lui-même entre écoute
penche la tête vers le récepteur
dans l’oreille interne 
il n’y a plus de secrets
entends-tu ce bruit vague 
ce n’est ni le siège de la pensée 
ni la source de la voix
l’appareil est sans nom
n’est que la dispersion d’une idée
rien ne sert de t’en faire de prier
tout ce qui est perdu le sera 
encore et encore et ce qui revient
ne nous appartiendra plus
quelqu’un s’est éclipsé 
était ici a laissé le récepteur 
allumé a propulsé le bouton l’aiguille
au-delà du spectre radio et a suivi
on n’entend plus que de la friture
sur un air sans musique
l’inventeur s’est envolé 
est parti réclamer du néant
qu’il nous rende nos voix humaines
qu’à notre tout nous puissions 
sans un bruit nous en aller
enfin rassurés d’avoir été là

 

MICHAEL TRAHAN 

 

Voix jetées

Michaël Trahan

 

« Je jette ma voix par la fenêtre. » (Nathanaël, Je Nathanaël, 2003)

 

ce n’est pas le vent qui se lève non
l’amour comme le ciel comme la voix
ne s’invente pas il naît au creux de la main
il s’attend au coin d’une rue ou sur le banc
d’un parc parfois il descend du train
comme s’il n’était jamais parti il revient
on ne sait d’où il repart on ne sait rien
on pense au cœur qui a dû battre
quelque part sous la peau sous la terre
on pense à la peau qui est un fruit
un lac un chemin très lisse on pense
à la neige qui fond comme l’amour
on pense au corps qui décide de tout
on pense on ouvre la main le souvenir
s’écoule comme de l’huile brûlante laisse
peut-être quelques marques sur la chair
mais rien d’autre au fond que la mémoire
de ce qu’on a perdu c’est le blanc de l’œil
qui gagne l’os le sature c’est une histoire
de plus en plus sentimentale un échec
qui part des lèvres et qui rature ligne
à ligne le visage la fenêtre le froid
entre je l’invite je l’appelle je l’aime
comme une étreinte qui fait mal
une injure voici la voix humaine
des morts voici ce que j’entends
quand je traverse la rue voici
ce qui revient quand je ferme
les yeux la voix n’est pas un fil je
le sais la découpe avec les doigts
elle est une tentation un miracle
d’abandon une scène effacée
qui revient gorgée d’encre
ou de sang bleu c’est une clef
qui n’ouvre aucune porte mais
qu’on n’ose pas jeter ni garder
un rêve qui s’ouvre chaque nuit
comme si c’était la première fois
voici une vie voici deux vies voici
trois figures tracées dans le sable
voici le vent qui se lève voici
la chose qui brûle
dans la voix

 

KAIE KELLOUGH 

Texte Kaie Kellough Partie 1Texte Kaie Kellough Partie 2Texte Kaie Kellough Partie 3

 

Details

Composer
Year of composition
2022
Commissioned by Paramirabo