Music for Body-Without-Organs
Notes de programme
« Selon les philosophes Deleuze et Guattari, le «corps-sans-organes» (body-without-organs) est un être métamorphe anormal — fluide, sans limites, en mutation, et en continuel processus de «devenir» — libéré des limites corporelles communément acceptées par les scientifiques. Dans son livre Deleuze and the Horror Film (Deleuze et le film d’horreur), Anna Powell analyse le film d’horreur d’un point de vue deleuzien et conceptualise le «corps-sans-organes» dans le contexte de certains films du genre, dont Videodrome de Cronenberg, Cat People de Tourneur, Hollow Man de Verhoeven qui mettent en vedette ce type d’entité. Elle examine aussi en profondeur des personnages littéralement «sans organes» tels que Frank Cotton (dans Hellraiser de Clive Barker) dont les organes se restaurent progressivement à travers le film après avoir été réduits en miettes par les Cénobites.
Ma composition Body-Without-Organs est une représentation sonore de ce processus continuel de flux et de fusion des éléments pour former de nouvelles entités. J’aime imaginer que des personnages aux «corps-sans-organes» se plairaient à écouter (en dansant) ma composition en vaquant à leurs occupations journalières. L’œuvre se déplace et évolue continuellement. Tour à tour se succèdent des matériaux musicaux de transe, en passant par des passages saccadés, psychédéliques et des interprétations distordues de sons ambiants. Pendant la composition de cette pièce, j’avais des visions d’une scène frappante du film culte de Herk Harvey Carnival of Souls (1962). Le personnage principal, Mary Henry, qui est peut-être une zombie, une possédée ou simplement une morte-vivante, pratique des hymnes à l’orgue, toute seule dans une église où elle tombe en transe. Les hymnes qu’elle joue se mettent à muter et à se transformer en inquiétantes mélodies tordues. Puis, les orteils de Mary se mettent à jouer du pédalier avec un abandon féroce, ses doigts caressent les touches avec de plus en plus d’urgence pendant qu’elle se balance et se contorsionne au rythme de la musique. Des goules se matérialisent et commencent à danser au son de sa musique démoniaque, mais le prêtre de l’église arrive juste à temps pour retirer les mains de la possédée des claviers en proclamant la musique sacrilège et mettre ainsi un terme à la fête diabolique. »
- Nicole Lizée