Envoi
Notes de programme
Commande: Claude Helffer, avec l’aide du CAC
Création: 17 février 1983, Concert 142 [Tremblay], Salle Pollack — Pavillon Strathcona — Université McGill, Montréal (Québec)
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À Claude Helffer
Le piano est au centre d’Envoi. C’est lui qui lance les idées, déclenche la musique dès le solo du début. Tout le reste de l’œuvre est la conséquence de ce geste initial. D’où le titre.
Il s’agit, bien sûr, d’un piano-orchestre, c’est à dire d’un piano qui par son écriture même rappelle et ce faisant appelle les instruments de l’orchestre: xylophones, crotales, gongs, trombones dans le médium-grave, volubilité de la clarinette… les points de contact en rimes de timbre, d’attaque — pour ne nommer que ces deux aspects — seront multiples. À divers degrés. Car les instruments à sons tenus lui seront plus difficilement imitables, sinon à travers des aspects moins apparents, comme dans le cas du lent mélisme du cor où les sonorités graves du piano convergent par diverses parentés harmoniques vers l’axe mélodique principal (un FA dièse).
Émission, réception. Identité (mimétisme), altérité (contraste). Tels sont les axes qui président au jeu concertant. Les relations s’effectueront donc plus par fusion ou dialogue que par une rivalité emphatique entre antagonistes — esthétique à rejeter.
Paradoxalement, je m’en référerai plutôt, bien que cela puisse sembler étonnant à cause du langage employé, à l’esprit des concertos de Mozart à cause de la multiplicité des idées utilisées (certains mouvements ont jusqu’à huit thèmes) complètement assumées dans la forme et aussi à cause du côté intégral des échanges: équilibres.
Ce concerto en un seul mouvement s’organise sur trois matériaux de base très différenciés bien que reliés les uns aux autres:
- groupes éclatés sur tous les registres par des transpositions sur les 3e et 7e harmoniques, traités en un grand cycle rythmique (que j’appelle ici tala, mot emprunté par analogie à la musique de l’Inde);
- un réseau fluide, avec formants permutables, qui servira de déferlements. Il donne naissance à un neume de plus en plus important: le torculus;
- accumulation sur des intervalles évoluant en spirale, que l’on retrouve dans les deux toccates. Des matériaux annexes s’y greffent ou en divergent en des méandres capricieux. Enfin, à travers tout cela, les résonances harmoniques par sympathie formeront un univers non tempéré, pont entre son et silence, ouvertes sur l’ailleurs, partie essentielle de la concertation. Elles trouveront leur équivalent dans l’écriture instrumentale.
Enfin, la clarinette principale traverse l’action en une longue progression par émergences. Émergences, lancées, trouées, courants croisés, tels sont les lignes de forces et les moments qui engendrent la forme dont voici les points saillants:
Cadenza (Tala, errance, déferlement, prémisse de toccate).
Durées physique I (grande entrée des instruments).
Émergence de la mélodie du cor (mélisme lent); surgissement de la clarinette (mélisme rapide).
Concert pour la première idée.
Grande progression menée par la clarinette, avec des trouées s’ouvrant vers des musiques d’étonnement, d’exclamation, d’objets précieux, de réflexes, de trompettes en écho; une première toccate, des groupes éclats à résonances travaillées, un dialogue sur les trois formants du déferlement en registre restreint.
Durées physiques II.
Double amplifié-développé. (Tala II, errance, développement de la mélodie de cor, grand déferlement développé).
Deuxième toccate.
Terme et sommet de la progression de la clarinette (Tala III, par absence (traces)).
Hymne — sans fin où vertical et horizontal sont fusionnés avec des interventions d’un torculus polymorphe (de densité, de timbre, de vitesse et de hauteur à la toute fin), de concerts de cloches, de trompettes;
Durées physiques III.
Lente giration perpétuelle et unificatrice entraînant tout, même l’utopique mémoire plant dans le futur. Miroir temporel. Écho anticipé.
Gilles Tremblay [i-83]
Source : SMCQ, http://smcq.qc.ca/smcq/en/oeuvre/21849/Envoi